9 décembre • 10 février 2024
Dans le château d’Espace à vendre, Éclats de nuit, exposition personnelle d’Alice Gauthier.
La nuit est calme. Elle porte le monde telle une grande scène ouverte sur laquelle
il ferait bon marcher, danser, chanter ou déclamer… peut-être même s’emporter
à rêver ! S’enchanter de ces éclats de vie trop vite prêts à disparaître. À peine
perçus, aperçus, au détour de quelque riche et sombre décor. La nature n’attend
pas. La nature n’a pas d’heure, puisqu’elle est l’espace et le temps. Elle est ce que
nous sommes et ce par quoi nous sommes.
Il y a dans les dessins d’Alice Gauthier tous ces mystères accumulés. La lumière
comme l’obscurité. Le vide et le plein. Et par-dessus tout, la belle transparence qui
nous habille et nous compose, êtres de chair et de sang qui ne cessons d’arpenter la
vie en y projetant de fantasmatiques paysages. Quelque soit le noir de l’histoire,
l’obscurité nous donne à voir et à croire. Et les pigments que l’artiste pose à même
la surface du papier dessinent des reliefs incertains, de mers et de montagnes, de
cieux délavés et de cavités incertaines prêtes à nous engloutir. Chemin faisant,
elle nous entraine avec virtuosité dans les circonvolutions d’une réalité qui
habituellement nous échappe, un monde qui pourtant est le nôtre, sans doute
trop souvent enfoui dans les tréfonds de notre inconscient. De poudre et d’eau, à
simple main levée sur la feuille, elle a ce pouvoir de nous faire naviguer dans les
méandres de notre cerveau, là où se cache derrière notre regard, la quiétude et la
volupté de nos vies passées et à venir.
Il suffit parfois de se laisser glisser dans la faille de ce qui peut nous sembler ici un simple décor, ou de suivre là une ligne d’horizon subtilement tracée, pour se sentir envahi par le dessin tout entier. Prendre le parti de l’œuvre, et celui de l’artiste suffit à nous convaincre de lâcher prise. Juste poser notre regard. Se laisser pénétrer par le paysage et s’enfuir au-delà de notre propre perception de l’art. C’est sans doute à travers cette proposition de transportation que le travail d’Alice Gauthier est le plus étonnant. De ce si peu d’effets apparents pour une telle emprise sur notre appréhension de l’action qu’elle déroule sous nos yeux. Et de cette candeur si touchante de s’obstiner à lancer encore quelques éclats de vie, ultime écho à la nuit que traverse notre humanité.
Jean-Marc Dimanche
Commissaire de l’exposition